Rencontre avec Benjamin Ourri, thésard en chimie pharmaceutique à Lyon
Son sujet de thèse porte sur la synthèse de récepteurs auto-assemblés pour la détection et le tri de protéines thérapeutiques.
Mon parcours de formation
Je suis un pur produit de formation lyonnaise ! Après deux années de prépa à La Martinière Monplaisir en filière PCSI puis PC, j’ai intégré le cycle ingénieur de CPE Lyon par les Concours Communs Polytechniques (CCP). Après les concours et suite à mon classement, j’ai décidé de tenter l’aventure CPE Lyon : son réseau, les retours positifs que j’ai pu récolter, les options, l’offre variée de spécialisations en dernière année, tous les indicateurs étaient au vert. Ma seule réserve portait sur mes capacités de financement du cursus. Je ne regrette pas ma décision, qui n’est jamais évidente à prendre à la fin d’une « prépa », qui ne laisse pas réellement le temps de réfléchir à notre futur et notre projet professionnel.
Mes choix d’options en année 4 se sont portés majoritairement vers la synthèse organique, mais également sur la chimie du cycle nucléaire, par curiosité et pour la culture générale. J’ai effectué une année de césure en deux temps : un premier semestre en laboratoire de recherche universitaire, et un autre en laboratoire de recherche industriel. Le premier semestre m’a vu travailler au sein de l’ex-équipe COSMO (Chimie Organométallique, Synthèse et Méthodologies Organiques) du professeur Olivier Baudoin, exerçant actuellement à Bâle en Suisse. A l’époque, sous la conduite d’un doctorant, j’ai travaillé sur la synthèse totale de l’Aéruginosine 298 A, en rationalisant le mécanisme et le contrôle diastéréoselectif d’une étape clé de la synthèse. Semestre dur, les exigences étaient élevées, mais la récompense fut à la hauteur du travail fourni : une publication, de l’introspection et énormément de compétences acquises. Par la suite, j’ai intégré la partie R&D de la start-up lyonnaise Calixar, spécialisée dans l’extraction de protéines membranaires, pour 6 mois. La partie chimie organique développe des nouveaux tensio-actifs servant d’agent extractants pour les protéines membranaires de type GPCR, le but étant de les dénaturer le moins possible lors du processus. Lors de ce semestre, j’ai mis au point la synthèse d’une famille de calixarènes (des molécules de la chimie supramoléculaire en forme de vase) amphiphiles, qui ont montré des propriétés d’extraction intéressantes : un brevet à la clé et une excellente expérience en entreprise qui me confirme dans mes orientations.

Ma dernière année à CPE Lyon s’effectue en master recherche à l’Université Claude Bernard Lyon 1, dans la mention Synthèse Organique et Chimie des Molécules Bioactives (SOCMB). Ce choix est la suite logique de ma spécialisation en synthèse organique . L’obtention d’un master recherche en plus de mon diplôme d’ingénieur était par ailleurs un plus pour continuer en thèse. J’ai effectué mon Projet de Fin d’Etudes au sein de l’équipe de Chimie Supramoléculaire Appliquée (CSAp) dans l’Institut de Chimie et de Biochimie Moléculaires et Supramoléculaires (ICBMS) de Lyon. Mon expérience dans les calixarènes a été la clé pour être sélectionné. En effet, lors de ce stage, j’ai développé des complexes de carbènes N-hétérocycliques (NHC) basée sur des calixarènes, le but étant de développer des catalyseurs énantiosélectifs de la réaction de chimie « click ». Là encore, la réussite et la chance ont été au rendez-vous, avec deux publications en plus, mon master et mon diplôme d’ingénieur en poche.

A chaque étape de mon cursus, le choix de la structure d’accueil pour mes stages a été murement réfléchi, en termes de compétences que je souhaitais acquérir, de mon réseau à développer, et également de la visibilité de ces structures (réputations, tendances à publier/breveter les résultats et à donner de l’autonomie au stagiaire). Je voulais à tout prix éviter des stages où j’aurai été cantonné à un travail de technicien sans réel développement des qualités attendues d’un ingénieur : prise de décision, autonomie, gestion de projet. J’ai à chaque fois vécu des beaux semestres, tant sur le plan professionnel que personnel. Mon seul regret est peut-être de ne pas être parti à l’étranger pendant l’un de mes semestres de césure.
NB : Aujourd’hui, il est obligatoire dans le cursus d’effectuer une période à l’international d’au moins 3 mois, que ce soit par un stage ou des cours. Un parcours uniquement en France n’est plus possible.
Ma thèse
Dans le cadre de ma thèse, je suis en charge de la synthèse de récepteurs auto-assemblés pour la détection et le tri de protéines thérapeutiques. Il s’agit d’une thèse CIFRE, financée par un industriel dont je suis salarié, UCB Pharma, travaillant sur des médicaments novateurs pour des maladies rares et notamment certains cancers. Une classe de médicaments que développe l’entreprise sont les protéines thérapeutiques. Contrairement aux molécules habituellement utilisées par l’industrie pharmaceutique, qui sont normalement synthétisées en utilisant des procédés chimiques, la plupart des protéines thérapeutiques doivent être produites à partir du vivant, de par leur complexité et leur enchainement d’acide aminés. Lors de leur synthèse, ces protéines peuvent subir des modifications post-translationnelles : une dégradation partielle de certains acides aminés qui affectent l’activité de ces potentiels nouveaux médicaments. Actuellement, peu de moyens existent pour quantifier ces modifications et pour purifier les protéines thérapeutiques. Mon équipe de recherche est spécialisée dans la production de petites molécules aromatiques, des 1,4-dithiophenol, qui ont la propriété de s’auto-assembler de manière variée selon leur environnement. Ces « briques », peuvent être fonctionnalisées pour que leur assemblage deviennent des outils de reconnaissance des modifications post-translationnelles. En résumé, mon objectif est de produire des récepteurs sur mesure capables de se lier sélectivement à des protéines thérapeutiques ayant subi une forte dégradation. Ces récepteurs pourront être intégrés sur des phases solides pour effectuer de la séparation par chromatographie, ou encore être utilisés en solution pour de la séparation par électrophorèse capillaire ou extraction par contre-courant par exemple.
Je travaille sur ce sujet de recherche depuis octobre 2016. Je suis détaché à plein temps dans mon laboratoire de recherche universitaire affilié, l’équipe de Chimie Supramoléculaire Appliquée (CSAp) au sein de l’Institut de Chimie et de Biochimie Moléculaires et Supramoléculaires à Lyon, sur le campus de La Doua. Il m’arrive de me déplacer ponctuellement dans d’autres laboratoires (ENS de Lyon, IBCP à Lyon) pour des expériences particulières, ou encore à l’étranger (Liège, Bruxelles), soit pour des réunions d’avancée avec UCB, soit pour effectuer des manipulations dans leur centre de recherche. Comme tout chercheur, le travail de communication avec les pairs et de représentation du laboratoire est également important pour moi, j’ai pu passer une semaine à Cambridge en juillet 2017 pour un symposium de chimie supramoléculaire. Concernant l’année prochaine, il y aura des déplacements à Londres surement et en Italie pour un congrès.
J’ai souhaité me tourner vers la recherche pour acquérir des compétences scientifiques supplémentaires dans le domaine de la synthèse organique, mais également dans des domaines frontières tels que le supramoléculaire, la biochimie, la chimie analytique, ainsi que la modélisation. Il était également important pour moi d’avoir un diplôme universellement reconnu pour ma mobilité, le doctorat, et d’améliorer mes capacités de gestion de projet et d’autonomie, deux compétences que l’on cultive quotidiennement lors d’un doctorat.
Le plus dur dans un doctorat et dans un projet de recherche en général, à mon sens, c’est lorsque les résultats ne sont pas au rendez-vous et que les espoirs qui ont été mis en vous et votre travail sont déçus. Il faut alors avoir l’énergie de rebondir, de changer d’angle d’attaque et de servir de l’échec comme un tremplin vers d’autres solutions. J’ai été confronté plusieurs fois à des périodes parfois longues de résultats difficiles à expliquer et qui n’allaient pas dans le sens que ce que je souhaitais. Au quotidien, cela génère de la frustration et un travail de justification auprès de la hiérarchie qui n’est pas forcément évidemment. Mais avec le temps et à force d’acharnement, j’ai à chaque fois pu contourner les problèmes ou les rationaliser, ce qui nous a permis d’augmenter la connaissance sur les objets que je produits et/ou de me rapprocher de l’objectif fixé par mon cahier des charges initial.
Dans mon équipe, nous manquons parfois de matériels de pointe pour certaines analyses de par notre budget de fonctionnement, ce qui nous place défavorablement par rapport à certains laboratoires concurrents étrangers. C’est parfois difficile de ne pas pouvoir lutter à arme égale, mais on compense par le travail et l’ingéniosité. En toute honnêteté, je ne rencontre pas d’autres difficultés dans mon quotidien, si ce n’est garer mon Velo’V sur le campus parfois, mais ça c’est une autre histoire… !
La recherche, c’est un domaine où je me sens utile et passionné : produire des nouvelles connaissances, des nouveaux outils est une formidable aventure qui mobilise à la fois des compétences organisationnelles, théoriques, pratiques et de direction. C’est une activité qui requiert de multiples qualités et dont le quotidien n’est jamais fixé, on ne peut pas s’ennuyer. Que ce soit dans les laboratoires académiques ou dans les centres de R&D des entreprises, « la recherche » me ramène à ce qui m’a donné la passion pour la chimie : développer des matières et des objets pour le bien-être, la protection de l’espèce humaine et également du vivant et de la biodiversité en général. Etudier la matière est fondamental pour nous permettre de faire face aux défis du changement climatique, de l’approvisionnement en eau et en aliments dans le monder entier, et à la croissance démographique et la pollution croissante. Les universités développent des connaissances qui sont transférées dans les entreprises qui en produisent des nouveaux médicaments, des procédés plus propres, des matières plus performantes… Etre en amont ou en aval de ce processus me faisait (et fait toujours) furieusement envie. Enfin, être dans un centre de R&D, c’est aussi participer au chiffre d’affaires de l’entreprise par la production de brevets et de solutions compétitives, on se sent utile et important. Ce sont tout ces éléments qui m’ont conduit à la voie de la recherche.
Pour la suite, ce sera une question d’opportunités je pense. Pour l’instant il y a peu de lisibilité, ma soutenance est encore loin. Il y aura un choix difficile à faire, celui de continuer en post-doctorat, sachant que je ne souhaite pas faire une carrière académique mais bien dans le privé, ou celui de chercher un poste immédiatement après ma thèse. Je pense que mon profil comporte un point faible, c’est le manque d’expérience à l’international dans un pays anglophone. Pour l’instant je suis concentré sur la production de résultats et je n’oublie de travailler mon réseau, on a tendance à l’oublier quand on est en thèse, et c’est vraiment important de ne pas se couper du monde pendant 3 ans.
Mon retour d’expérience
Je conseille aux CPEéens chimistes de ne pas oublier de travailler leur réseau pour trouver leur stage/thèse et pour leur carrière future, qu’elle soit académique ou non. En effet, même dans le domaine de la recherche, le réseau est un point clé pour progresser. Il est également primordial de bien se renseigner sur les structures d’accueil que vous allez vouloir intégrer pour vos stages et votre thèse (tendances à publier/breveter, réputations, politique d’encadrement). Ces structures doivent satisfaire à votre projet professionnel, vous amenez d’un point A à un point B en termes de compétences et évidemment vous permettre de vous épanouir au quotidien dans votre travail et donc votre vie personnelle.
De manière générale, je conseille d’avoir de l’esprit critique dans tout ce que vous ferez. Analysez toujours les informations que vous aurez avec recul et intelligence, ne tombez pas dans les lieux communs et mettez en cohérence vos choix avec votre projet. Je pense également aussi qu’il est important d’avoir conscience que dans le domaine de la chimie, les postes de maîtres de conférences, chargés de recherche, et professeur des universités sont extrêmement durs à obtenir, la concurrence est plus que rude. Il vous faudra des années de post-doc et des publications à rallonge pour espérer obtenir des postes… Dernier conseil, si vous êtes passionné, foncez, je reste un épicurien et je suis convaincu qu’il faut faire ce qui nous anime au fond de nous pour être heureux !